Bartabas
Encore une fois Bartabas nous emmène dans une épopée et son spectacle nous ensorcelle.
Et pour la dernière fois peut-être, car c'est probablement "l'ultime création" de la troupe équestre zingaro. Mais ça, il n'en a rien dit quand il nous a gentiment accordé du temps après la représentation pour signer un ouvrage et échanger quelques mots.
J'ai rencontré un grand et bel homme à la franchise quelque peu sauvage. Diamant brut et clairement riche de cœur, Il est connu pour ne pas s'embarrasser des conventions inutiles. A mes yeux, c'est un homme libre, et c'est probablement cette authenticité qui fait toute la différence dans son oeuvre artistique. Gigantesque et humble tout à la fois dans un geste créatif profond en humanité.
Célébrer ombre et lumière
Dès les premiers tableaux, c'est parti : le naturel et le surnaturel se confondent en une création d'un autre monde. Mais c'est un autre monde qui serait le miroir parfait de notre monde : avec ses joies, ses beautés, et ses peines et cruautés. Paradoxe ombre et lumière, c'est la vraie vie magnifiée à un niveau supérieur.
Ex Anima est contenu dans un halo de sacré, et Bartabas joue de l'art des contrastes. Tout est à la fois subtilement nuancé et brut de décoffrage.
Le réalisme de ce spectacle a une puissance onirique. On peut être sensible à la pureté de la vie au-delà de ce qui est donné à voir, et percevoir cette intensité mystérieuse incarnée dans la présence corporelle des chevaux : on assiste au mariage de l'élévation spirituelle et de la biologie instinctive.
C'est un spectacle voulu sans humains -ou discrets, si discrets... Des ombres sur la scène. Bartabas y honore la profonde relation de confiance qu'il a su tisser avec les chevaux : il leur laisse le champ libre.
Les cavaliers ont su s'effacer. Seule transparaît l'évidence du lien paisible qui les unit aux chevaux.
Dans un clair-obscur plein de mystère, des moines bouddhistes occupent discrètement l'arène. Ombres qui méditent aux quatre directions du cercle, bonzes qui avancent à petits pas pressés comme un seul corps, un cavalier de grande classe qui chevauche au vent dans la harde des chevaux...
Certes en vrai, le vent ne souffle pas sous le chapiteau. Mais le cavalier lui, a beeaaaucoup de style. La noblesse libre et ardente du grand cavalier mongol.
En revanche dehors, ça souffle fort. La concentration et l'effort d'attention demandés aux animaux et aux moines doivent en être considérablement accrus.
Mais la musique est tellement organique ! Pour nous spectateurs, le bruit du vent se fond quasiment en elle.
Tissée de silence
Parlons-en de la musique ! L'honneur nous est fait d'un accompagnement musical en live et les musiciens sont assis sur les gradins en face de nous.
Ils jouent une composition sur le thème du Souffle avec des instruments traditionnels : à vents comme la flûte de chine Hulusi, les flûtes du Japon Shakuhachi, Ryuteki, Nôkan, les flûtes d’Irlande Tin-Whistles et la Bansurî, une flûte d’Inde du Nord, accompagnés de percussions, guimbarde et gong.
C'est une symphonie tissée de silence. Méditative et respectueuse de notre intimité.
Il y a de l'espace entre les notes : même quand elle nous entraîne dans les cavalcades chevalines, ou qu'elle nous étreint le cœur face aux tableaux dépeignant l'absurde drame que peut créer l'humanité.
Le meilleur pour la fin
Non je ne les ai pas oubliés, les chevaux.... Je gardais le meilleur pour la fin. La vérité c'est qu'ils m'ont laissée sans mots : leur présence est d'une puissance et d'une rare beauté. Parfaite alliance du yin et du yang : sur scène, la grâce s'est faite force et la force s'est faite grâce.
Ex Anima est une célébration de l'amitié indéfectible que les chevaux témoignent aux humains, et un hommage à la sagesse qu'ils incarnent, fidèles gardiens et guides silencieux.
Ils sont nombreux, les acteurs et actrices chevalins : trente-neuf chevaux, ainsi qu'une mule et un âne. Ils incarnent tous les visages et toutes les qualités du monde, avec leurs spécificités de race et d'attributs physiques, de posture et de comportement relationnels... Mais surtout, surtout, ils dégagent une noblesse à nulle autre pareille. Et une immense générosité.
Amitié, jeu, humour, sagesse, respect sont finement ciselés à l'extrême pudeur qu'inspirent les chevaux, face au comique burlesque et à l'absurdité de nos drames humains.
Amitié et servitude
Ils nous rappellent combien ils nous ont tellement donné depuis qu'ils vivent à nos côtés. De l'obéissance au sacrifice, leur service, leur force, leurs talents, de l'amitié à la mort.
Il faut parfois un peu d'aide des compagnons spectateurs pour saisir le cadre narratif de certaines scènes - apparemment, nombreux sont celles et ceux qui n'ont pas compris pourquoi un cheval est lentement hissé par un treuil très haut vers le sommet du chapiteau. C'était il y a peu en France et c'est encore sous d'autres latitudes : les chevaux sont treuillés au fin fond des mines et n'en ressortent pas vivants. Au-delà du rappel de mémoire induit par la scène, l'animal dégage une telle dignité dans un calme confiant que j'en ai été pétrie - et pétrifiée : j'étais immobile et sans pensée face au cheval suspendu dans le vide, impassible et exemplaire, dans l'éternité du moment qui s'étirait doucement.
Joyeusement aussi sous nos yeux, les chevaux d'Ex Anima témoignent de la vie libre et sauvage. Ils vont en harde, en petit troupeau, en duo. Et nous respirons l'instinct, la vitesse, la puissance herculéenne, l'agilité et le leadership, l'abandon confiant et la profonde immobilité. Nous sommes contact par capillarité, jeu et partage, communauté, tendresse affectueuse et érotisme.
Au fil du spectacle apparaissent d'autres acteurs animaliers, l'oie, les loups, les colombes... Rappel viscéral d'un temps encore proche où nous partagions plus largement notre quotidien avec les animaux. Que nous grandissions avec eux ou que nous les croisions dans les campagnes et les forêts.
Un temps disparu pour la plupart d'entre nous.
Madeleine
Co-fondatrice d'Intentionné
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